Mon parcours en tant que chanteuse est loin d’être conventionnel …
Je suis arrivée au chant assez tardivement mais je crois que j’ai toujours adoré chanter, bien avant que j’en sois tout à fait consciente. Durant mon enfance en Italie, c’est à l’âge de 5 ans que je commence à jouer du piano et je ne me souviens pas d’avoir passé un seul jour sans m’asseoir et jouer de ce magnifique instrument. Au sein de ma famille, j’étais entourée de musique classique et d’opéra, et je chantais sans arrêt, bien que je n’aie jamais imaginé d’être, un jour, chanteuse J’ai poursuivi mes études de piano, en parallèle de ma licence en droit à l’université, et puis le moment de faire un choix arriva …. Bien que je respirais la musique au quotidien, je pris la décision plus traditionnelle de devenir avocate, ne me voyant pas devenir pianiste professionnelle (et le chant n’étant même pas sur ma ligne d’horizon à ce moment-là…)
Pourtant, mon piano restait essentiel, et je continuais à en jouer, à étudier et à répéter quotidiennement bien après avoir fait mes premiers pas en tant qu’avocate. C’est durant une masterclass à Grenade, en Espagne, que le chant se révéla à moi, de manière inattendue.
Les organisateurs du programme avait demandé à tous les instrumentalises de chanter dans la chorale du concert de clôture du cours. Au départ, je n’étais pas particulièrement ravie de la situation (après 8 heures de piano chaque jour, deux heures supplémentaires de répétition dans une chorale me semblaient loin d’être idéales). Pourtant, je dis oui. Je dis oui, parce-que mon cœur dit oui… Et c’est alors, en un seul instant, que je suis tombée complètement, profondément et follement amoureuse du chant. En cet instant précis, le “pourquoi” me revint à l’esprit, le “pourquoi” qui m’avait fait chanter en tant qu’enfant, ce “pourquoi” qui me disait que c’était exactement là que j’étais censée me trouver. Mais, je venais de démarrer ma carrière d’avocate, et cet appel serait mis en suspens…
Ceci dit, j’étais revenue de ce cours avec un désir intense de trouver un professeur de chant et apprendre. Et l’odyssée commença. Je lu, article sur article, livre sur livre, et je rencontrai de nombreux professeurs, ma voix étant tout d’abord classée alto (en raison de ma basse tessiture et mon timbre de voix), puis mezzo-soprano et finalement lirico-spinto ou soprano dramatique. Je commençai des études de chant professionnel au conservatoire de Vibo Valentia, en Italie, me diplômant avec les félicitations du jury et un chaleureux encouragement à développer une carrière de chant. Je donnai mes premiers concerts en Italie et en Belgique, où j’avais rejoint un cabinet d’avocats international …
Et là encore, malgré toutes ces études, et bien que mes concerts soient accueillis avec
enthousiasme, je savais au plus profond de moi qu’il manquait quelque chose. Je chantais de manière intuitive (mes gènes italiens n’y étant sans doute pas étrangers) et je sentais bien que je poussais ma voix, tout étant basé sur un travail de tension musculaire …
Chanter était une lutte. Je m’y prêtais de toute mon âme mais mon corps ne savait pas vraiment comment s’y prendre… Malgré mes voyages à travers l’Europe auprès de plusieurs professeurs et toutes mes lectures et efforts pour essayer de comprendre, je savais que je ne possédais que très peu de technique.
Au cours de cette période de quête incessante, pendant laquelle je réussi à rencontrer l’homme de ma vie et à avoir trois merveilleux enfants, je continuais à chercher…
Et finalement, après des années de démarches, je rencontrai Catrin et puis Janice, à Londres, et elles m’ouvrirent un tout nouvel univers. Il va sans dire que leur verdict fut assez dur : belle voix mais manque de technique. Déprimant en soi, je ne pouvais pourtant pas m’imaginer ne pas chanter. Je n’eus d’autre choix que de les croire et leur faire confiance, et recommencer depuis le début. Ce qui fut, littéralement, le cas.
Compliqué et exigeant, mais je savais dans mon cœur que cela en valait la peine … Je suis réellement reconnaissante d’avoir dit oui à ce chemin miraculeux, qui ne fut pas seulement un parcours de découverte de ma vraie voix et de développement de son potentiel le plus élevé mais également un chemin de découverte personnelle …. Loin d’être un conte de fées, et définitivement une montagne russe émotionnelle, j’ai très sérieusement envisagé à plusieurs reprise d’arrêter… Courage et patience furent mes mantras…
Et, c’est alors que débuta ma fascination pour chacun des détails qui créent un son d’opéra : comment une petite inclinaison du menton, du larynx, un millimètre de différence dans la position de la langue, le palais et une posture peuvent complétement transformer un son. Et, petit à petit, la magie opéra. Mes hautes notes étaient bien là, les voyelles tournaient, mon corps soutenait le son – et quelle joie de finalement comprendre le fameux « appoggio », ce souffle soutenant (dans tous les sens possibles) le son, en compagnon bienveillant, un filet de voix se posant sur ce doux et puissant matelas de velours, créant un effet cathédrale (“un soffio è la mia voce” dit l’une de mes arias préférées de Adriana Lecouvreur).
Toutes les pièces séparées du puzzle que j’avais recueillies au cours des années antérieures s’assemblèrent incroyablement… Il est assez difficile d’exprimer par des mots ce sentiment d’avoir été libérée d’une cellule de prison où j’avais été retenue par des cordes très serrées et puis, petit à petit, l’une après l’autre, sentir comment ces cordes étaient taillées et avec chaque corde taillée, l’augmentation d’un sentiment de liberté jusqu’au moment, soudain, où la porte s’est complètement ouverte….
Comprendre la voix a été, et continue d’être toujours davantage, la passion de ma vie.
J’aime étudier sa mécanique, plonger dans les développements scientifiques les plus
récents (tant en pédagogie vocale qu’en neurosciences) qui soutiennent ce que les maîtres du belcanto savaient et enseignaient intuitivement.
Je m’interroge sur ce qui se trouve réellement derrière cette recherche de technique vocale et comment fonctionne une voix ? J’ai un jour entendu un danseur dire que le seul but de la maîtrise technique est de s’assurer que le corps n’empêche pas l’âme de s’exprimer elle aussi… C’est la même chose pour le chant. A un certain stade, ce n’est plus de la haute note ou de la coloratura ou des millions de petits détails sur lesquels on se concentre tout au long des années dont il s’agit, mais bien de chanter librement et d’être en mesure de tout exprimer complètement et profondément, de maintenir cette voie totalement ouverte, détendue… afin que la musique se répande au travers du corps… devenant littéralement un air vivant, vibrant…
Le chant est donc devenu l’expression la plus profonde de qui je suis réellement. Ce
mélange simultané de travail intense et de merveilleuse simplicité est bouleversant et
m’émeut jusqu’aux larmes chaque fois que j’ouvre la bouche. Chanter est à présent une joie et une émotion pures. Je suis, à tout jamais, reconnaissante aux professeurs qui m’ont accompagnée tout le long, pendant que je découvrais ce merveilleux cadeau. Je continue à apprendre chaque jour, et continuerai à le faire jusqu’à mon dernier souffle, mais ma vie a été transformée et je me régale, à chaque souffle, de ce chemin extraordinaire.
Je me sens véritablement bénie de partager ce chemin et j’espère pouvoir transmettre, à tout le moins, un fragment de l’émerveillement et de la vivacité que je ressens en chantant.